UNION CONFÉDÉRALE CFDT DES RETRAITÉS

Actu revendicative


Edmond Maire, la CFDT de 1971 à 1988


De nombreux militants de la CFDT Retraités ont été marqués par Edmond Maire. Il parlait à notre cerveau, il nous faisait réfléchir, il nous obligeait souvent à remettre en cause nos idées toutes faites, il participait à notre émancipation... Militants lors de son arrivée comme secrétaire général de la CFDT, nous avons milité ensemble pendant 17 ans, nous avons évolué avec lui, nous aussi avons participé à l'évolution de CFDT, notre université populaire. En hommage à Edmond, nous republions un entretien de septembre 2009, composé de cinq articles.

Pour nous, Edmond Maire reste un acteur déterminant de l’histoire de la CFDT après 1968. Secrétaire général de la CFDT de 1971 à 1988, il a marqué l’histoire du syndicalisme, de la CFDT et a laissé des traces dans nos mémoires. Cet entretien commence par des questions sur cette période.

Quels sont tes rapports avec les militants oeuvrant pour l’évolution de la CFTC en CFDT en 1964 ?

Edmond Maire. Jeune responsable syndical, j’ai la chance d’être très vite en liaison avec ma fédération de la Chimie, dont Raymond Marion et Jean-Marie Kieken, l’organisateur discret de la minorité. Laïcs, ils sont partisans d’un socialisme démocratique modéré. Trois raisons motivent mon engagement : la déconfessionnalisation, le socialisme démocratique et l’autodétermination de l’Algérie.

Marcel Gonin me fait partager la filiation de notre syndicalisme avec la charte d’Amiens et Fernand Pelloutier. Et Reconstruction, avec Paul Vignaux, nous apporte l’éclairage syndical international d’une social-démocratie ouverte, vivante.

Le débat interne à la confédération entraîne un rapprochement étroit entre les fédérations d’industrie, depuis la fédération Textile et les envolées quelques peu mystiques de Fredo Krumnov jusqu’au solide réalisme de la fédération de la Métallurgie.

Eugène Descamps a un rôle essentiel grâce à son dynamisme et à son ancrage dans les mouvements d’action catholique. Il est indispensable pour réussir la déconfessionnalisation.

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Comment deviens-tu secrétaire général de la CFDT en 1971 ?

L’unité de pensée des fédérations d’industrie joue un rôle important. Leur approche est franchement sociétale. À l’incitation de Marcel Gonin, au début de chacune de nos réunions, l’un d’entre nous fait un exposé sur la situation générale, nationale et internationale. Pour succéder à Eugène Descamps, face à l’envie de changement, je suis à la fois bien placé et desservi par mes prises de positions très marquées dans les débats confédéraux. C’est pourquoi Eugène préfère Laurent Lucas comme successeur… Faute de majorité, il le propose comme président.

La politique confédérale se décide au bureau national. Pas toujours facilement, on est après 68… Certains s’opposent à tout accord professionnel. Par exemple, si je gagne en faisant accepter « l’accord de progrès » EDF-GDF, par contre, je suis battu en défendant l’accord purement syndical de l’Union des fonctionnaires avec les pouvoirs publics. Après 68, il y a eu des risques de dérapage, y compris dans la majorité… Des années difficiles !

Qu’est-ce qui marque la CFDT des années 70 ?

C’est trop simple de résumer les années 70 aux grandes orientations CFDT, dont les piliers du socialisme démocratique : propriété sociale des moyens de la production, planification démocratique et autogestion. C’est oublier qu’en réalité les luttes sur les conditions de travail ont été centrales.

Nous avons vécu des grèves dites exemplaires à l’époque : Penarroya, Cerisay, Nouvelles Galeries de Thionville, Lip et quelques autres. Car l’action syndicale, c’est d’abord cela. L’autogestion intéresse les militants, mais l’action syndicale quotidienne est très vigoureuse.

Je me rappelle d’un débat télévisé très dur avec le ministre du Travail, Joseph Fontanet, sur les conditions de travail. Chacun a fait un film, le mien se passe dans la vallée de la Maurienne. On y voit qu’aucun dirigeant patronal n’accepte que j’entre dans son entreprise filmer les conditions de travail. Les propositions que je fait dans ce débat apparaissaient utopiques. En fait quelques années après, grâce à l’action syndicale mais aussi aux lois Auroux, l’essentiel est passé dans les faits.

À la fin des années 70, pourquoi le recentrage sur l’action syndicale ?

Le recentrage n’est pas proposé par rapport au gauchisme, mais par rapport au programme commun. Car la période du danger gauchiste des années 70 à 73 est dépassée. Ce fut la pire des périodes, la période du bateau ivre. J’hésite même à m’absenter plusieurs jours de la confédération.

Les années suivantes l’imprégnation du programme commun devient dominante. Nous n’obtenons pas de résultats marquants avec le CNPF et la droite au pouvoir. L’attente de changement semble passer, au détriment de l’action syndicale, par un vote politique. Le syndicalisme devient de fait subordonné au politique. Les assises du socialisme en 1974 n’y changent rien. Elles s’avèrent une erreur.

C’est alors qu’est décidé le recentrage, avec Jacques Moreau comme rapporteur au conseil national.

Qu’est-ce qui marque les années 80 ?

Notre approche de la politique ! Avec Jacques Chérèque nous allons voir François Mitterrand le 9 mai 1981, la veille de l’élection. Nous lui disons : « nous ne souhaitons pas que vous soyez au pouvoir pour six mois seulement ». « Ne prenez pas des mesures créant une inflation insurmontable ». « Limitez la hausse du Smic à 10% », ce qu’il a fait.

La désyndicalisation était-elle inéluctable ?

La victoire de la gauche n’est pas la cause de la désyndicalisation. Elle commence bien avant, dès 1973 à la fédération du textile. Puis l’affaiblissement des autres industries de base, les transformations du salariat… et les changements culturels sont essentiels.

L’après 68 ne se résume pas à l’individualisme. Un fort courant de socialisation se fait jour dont le mouvement associatif sera porteur. Le nombre d’associations explose. Nous mettrons longtemps à le voir.

Les syndiqués, les citoyens ont des aspirations à court terme. Selon un sociologue, ils veulent que les organisations aillent au bout de leurs actes : pas de revendications ne pouvant pas être atteintes. Ce réalisme ne correspond pas aux « grands espoirs » de transformation, ni de la CFDT, ni de la gauche.

Du côté des fonctionnaires, il n’y a pas eu un tel mouvement de désyndicalisation. Sauf chez ceux du Sgen car ils ont voulu pendant longtemps transformer à eux seuls… l’éducation nationale.

Notre décision la plus importante, c’est la création du GAPS (groupe d’action pour la syndicalisation) et la mise en lumière du rôle central des sections syndicales d’entreprises. Nos autres efforts ? Construire les changements à partir du réel, s’adapter aux nouvelles attentes, retrouver des interlocuteurs patronaux.

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